Le 15 janvier 2016, le Ministère de la Culture annonçait que la disposition AZERTY n’est pas adaptée à la langue française et qu’il fallait donc trouver ou inventer une meilleure disposition de clavier.
J’ai été agréablement surpris, tout d’abord, qu’ils mentionnaient dans le document intitulé « Repère claviers » une disposition déjà existante et qui pourrait parfaitement convenir : la disposition bépo.
C’est donc par curiosité que j’ai voulu essayer la disposition bépo. J’en avais déjà beaucoup entendu parler, mais c’est cette publication du Ministère qui m’a poussé à franchir le pas.
Ce billet est mon compte-rendu de six mois d’apprentissage, de perfectionnement et de pratique de cette disposition de clavier. J’espère ainsi en convaincre d’autres de l’essayer et de l’adopter.
Origines du bépo
Le bépo a été le résultat de travaux datant du milieu des années 2000. L’idée principale est de placer les lettres les plus fréquemment utilisées en français sur les touches les plus facilement accessibles : celles de la rangée du milieu.
Des travaux similaires avaient été faits dans les années 1930 par August Dvorak, donnant le clavier simplifié Dvorak ou tout simplement le clavier Dvorak.
Cependant, à la différence des travaux de Dvorak, le corpus de textes utilisé pour la mise au point de la disposition bépo était non seulement constituée de textes littéraires, mais aussi d’extraits de code source, d’e-mails et de conversations de messagerie instantantée. Ce qui confère au bépo déjà de nombreux avantages par rapport à l’AZERTY et au QWERTY.
Avantages du bépo
En plaçant les lettres les plus fréquentes sur les touches les mieux accessibles, cette disposition est plus confortable et moins fatigant pour les mains. Elle tient également compte des besoins plus spécifiques liés à la programmation : par exemple, les symboles courants comme { } < > [ ] sont tapés en appuyant sur AltGr combiné avec une touche sous la main gauche. Sur QWERTY, ces symboles sont sur le côté droit du clavier en accès direct ou via la touche Maj, mais en AZERTY, la saisie de ces symboles demande souvent au typiste de se contorsionner les mains. Ceux qui ont déjà fait du LaTeX sur clavier AZERTY sauront de quoi je parle !
Mais le plus important, c’est que le bépo comporte tous les symboles et tous les caractères nécessaires pour écrire correctement en français. Les concepteurs du bépo ont d’ailleurs aussi tenu compte des besoins des langues régionales (occitan, breton…) et de nombreuses autres langues européeennes s’appuyant sur l’alphabet latin (y compris, au passage, l’espéranto).
Le bépo prévoit notamment :
- les majuscules accentuées, comme dans le mot « État » (l’omission de l’accent constitue d’ailleurs une faute d’orthographe) ;
- les caractères « e dans l’o » et « e dans l’a », comme dans « sœur » ou « curriculum vitæ » ou encore « Œdipe » ;
- les guillemets français de premier niveau « » et de second niveau “ ” ;
- une disposition unique et complète : il n’y a aucune « variante » entre les différents constructeurs de matériel ou les fabricants de systèmes d’exploitation (par exemple, pour taper une barre verticale « | », la combinaison est différente sur PC ou sur Mac en AZERTY mais pas en bépo) ;
- en dernier mais pas des moindres : un apprentissage bien plus simple grâce à une disposition qui paraît « logique » grâce à de nombreux petits raffinements. Par exemple, tous les symboles de ponctuation devant être précédés d’un espace insécable sont sur la touche Maj, qui permet également de taper l’espace insécable (Maj + Espace).
Apprendre le bépo comme une deuxième disposition constitue également une opportunité pour apprendre à taper au clavier correctement avec une méthode de dactylographie, c’est-à-dire entre autres sans jamais regarder les touches.
Installation du bépo
Je ne détaillerai pas la marche à suivre pour pouvoir taper en bépo sur votre système : cela ne ferait que dupliquer les instructions qui existent déjà sur le site bepo.fr. Je note cependant que la plupart des OS libres (sauf Android) intègrent déjà le bépo.
Mon apprentissage du bépo
Maintenant que j’ai traité les raisons pour lesquelles j’ai été tenté d’essayer le bépo, je vais détailler un peu les différentes phases par lesquelles je suis passé dans mon apprentissage puis de ma maîtrise du bépo.
Tout d’abord, changer une habitude qu’on a depuis des années (voire des décennies) peut paraître extrêmement difficile. En réalité, c’est à la portée de tous, du moment qu’on s’accorde les moyens. En outre, en quatre mois, j’avais déjà quasiment atteint la vitesse de frappe que j’avais mis vingt ans à acquérir en QWERTY, en sachant que je pourrais probablement faire encore mieux au fur et à mesure que je continue à taper en bépo. N’est-ce pas là un retour sur investissement intéressant ?
En tout cas, voici comment j’ai procédé : tout d’abord, par des exercices quotidiens pendant trois à quatre semaines, sans dépasser quinze minutes par jour. Ensuite passer en bépo par défaut sur toutes mes machines, en profitant d’un moment « creux » sans deadlines ou quoi que ce soit à terminer dans l’urgence. Le tout est de mettre l’accent non pas sur la vitesse de frappe mais sur la précision.
Les trois premières semaines : exercices quotidiens
Les trois à quatre premières semaines sont les plus importantes et c’est un temps d’apprentissage pendant lequel j’ai fait des exercices et uniquement des exercices.
J’avais failli commettre l’erreur de passer immédiatement en bépo comme disposition du clavier par défaut. Mais le but est a contrario d’apprendre la disposition petit à petit, pour se donner le temps tout d’abord d’acquérir les réflexes et entraîner sa « mémoire musculaire ». On commence par taper des suites de « e t e t et te ette » mais on a le sentiment de progresser vite : on finit très vite déjà par savoir taper des phrases simples comme « tu essaies un instant et tu es saisi ».
Ensuite, j’ai aussi failli être tenté de me précipiter pour « ré-étiqueter » son clavier en bépo, mais je n’ai pas cédé à cette tentation. Je n’aime pas les autocollants et cela incite de plus à regarder le clavier alors que le but est justement d’éviter cela.
Enfin, il est également contreproductif de faire des sessions de plus de quinze minutes. L’acquisiton de nouveaux réflexes nécessite de s’exercer à tête reposée et cela demande beaucoup d’effort mental.
J’ai fait pendant plusieurs semaines des exercices sur l’outil en ligne Bépodactyl. Certains recommanderaient Klavaro pour s’entraîner mais Bépodactyl a l’avantage de n’exiger l’installation d’aucun autre logiciel.
J’ai profité de l’opportunité pour acheter un TypeMatrix étiqueté en bépo (pour le style et pour m’assurer que mes collègues n’y touchent pas) afin de m’aider à apprendre la disposition et en espérant que ce clavier serait plus confortable pendant l’apprentissage.
Le grand saut
Au bout de quatre semaines, j’étais prêt à passer toutes mes machines en bépo. Sous X11 cela n’est pas très difficile :
Section "InputClass"
Identifier "evdev keyboard catchall"
Option "XkbLayout" "fr"
Option "XkbVariant" "bepo"
Option "XkbOptions" "kpdl:commaoss"
EndSection
J’en profite également pour positionner l’option Xkb pour que l’appui sur la touche « point » du pavé numérique insère une virgule au lieu d’un point (avec le point en AltGr).
Au moment du grand saut, j’étais à 20 mots par minute. Trop peu pour avoir une bonne répartie sur IRC mais suffisant pour des mails, même si j’étais certes un peu plus lapidaire.
Les deux mois suivants : perfectionnement
Néanmoins, pendant deux mois, ma vitesse de frappe augmentait rapidement et de façon régulière : je gagnais peu ou prou cinq mots par minute chaque semaine. Pour ça, je n’ai fait que deux choses : taper le plus possible d’une part, et faire des exercices sur Dactylotest d’autre part pour mesurer ma vitesse et ma précision.
À 35 mots par minute, je commençais déjà à pouvoir reprendre mes activités habituelles impliquant le clavier, que sont le boulot, le code et IRC, mais toujours à une vitesse bien en-deçà de ce dont j’avais l’habitude.
À environ 50 mots par minute, la progression de ma vitesse de frappe commençait à ralentir, mais entretemps je gagnais lentement mais sûrement en précision. Cette vitesse de frappe est déjà largement suffisante dans la plupart des situations. Quoi qu’il en soit, j’avais alors passé pas moins de trois mois pour regagner les deux tiers d’une vitesse de frappe que j’avais accumulée pendant vingt ans.
Le bépo dans la vraie vie
En plusieurs mois, j’ai eu suffisamment le temps de constater à quel point le passage au bépo a bouleversé mes habitudes.
Tout d’abord, je m’efforce désormais de n’utiliser que les guillemets français lorsque j’écris, y compris sur IRC ; je m’efforce également d’utiliser le « signe moins » (AltGr + « - ») au lieu du trait d’union devant les nombres négatifs ou en parlant d’une soustraction, et j’en passe.
Mais la seule raison qui m’avait retenue de passer au bépo était le fait que l’éditeur de texte Vim, que j’utilise tous les jours et dont je ne peux plus me passer, est conçu pour le QWERTY. De mon côté, j’ai pu résoudre le problème en m’inspirant de cette page et en partant sur une configuration qui échange les rôles des touches C, T, S, R avec H, J, K, L respectivement. J’estime que repasser entièrement en QWERTY en mode commande est trop bouleversant, et cette solution me sied tout à fait.
Quoi qu’il en soit, je me souviens que du fait de mon travail, je souffrais régulièrement de débuts de tendinite dus à la frappe au clavier et ce malgré le fait que je m’installais correctement à mon poste de travail ; ces maux ont disparu au bout de deux à trois semaines après mon passage intégral au bépo. J’étais peut-être encore loin du syndrome du canal carpien, mais on s’accordera à dire qu’il vaut mieux prévenir que guérir et que dans cet aspect-là, le bépo a ses vertus en matière de santé publique.
Cependant, je sens que j’ai beaucoup régressé en QWERTY : ma vitesse de frappe et mon aisance en QWERTY et en AZERTY ont considérablement baissé. Il me faut parfois cinq à dix minutes pour me réhabituer à la frappe sur ces dispositions de clavier pendant que je combats ma tentation de vouloir taper en bépo (par exemple sur la machine d’un collègue).
Conclusion
Pour moi, l’expérience du passage au bépo a été un franc succès et une décision que je ne regrette pas. Je ressens un confort de frappe nettement amélioré et des mains moins endolories, qui sont des petits plus fort intéressants qui peuvent achever de convaincre autrui à tenter la même expérience que moi.
Commentaires
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GeoffreyFrogeye
C'est un retour très complet qui me donne envie de passer au BÉPO aussi ! J'aimerais cependant plus de détails, à propos de Vim, est-ce aussi intéressant de passer à un autre mappage des fonctions pour naviguer dans l'editeur qu'il est intéressant de passer à un autre mappage des lettres pour écrire du texte ? En effet, d'après la disposition dont tu t'es inspiré, certaines fonctions restent à la même place physique, d'autres gardent le même caractère, d'autres n'ont aucun lien avec leur emplacement précédent. Une autre question, qui n'a pas vraiment de rapport avec les BÉPO, mais tu dit avoir eu des débuts de tendinite alors que tu utilises Vim, dont on vante qu'il permettrait d'éviter ce genre de problème, notamment par rapport à son concurrent direct, Emacs qui utilise beaucoup les touches Ctrl et Alt par exemple. Nous mentirait-on ? Ou alors avec Emacs ça serait vraiment pire ? Merci d'avance pour ces précisions !
★ x0r
En ce qui concerne Vim, j’ai l’impression qu’il y a plusieurs écoles.
La première dirait que vi avait été conçu pour un clavier QWERTY uniquement (ou alors ce sont des gens qui se souviennent mieux de l’emplacement physique de chaque commande plutôt que des lettres) et prône donc une reconfiguration totale, c’est-à-dire d’échanger toutes les touches de Vim pour que chaque commande ait la place qu’elle aurait sur un clavier QWERTY : par exemple, la commande « c » serait alors sur la touche « x » en bépo, le « d » serait sur le « i » et ainsi de suite.
La seconde considère que mis à part le « hjkl », les commandes de vi sont des instructions qui n’ont un sens que parce qu’ils ont (la plupart du temps) un moyen mnémotechnique pour s’en souvenir (par exemple, on se souvient de « c » comme « change », de « d » comme « delete »…). Les gens qui utilisent vi ou Vim en réfléchissant non pas à l’emplacement des touches mais en se souvenant des lettres, comme moi, préféreront donc une reconfiguration partielle qui replace seulement l’équivalent du « hjkl ».
Quant à mes débuts de tendinite, je dirais plusieurs choses. D’abord que c’était surtout lié au fait que j’oubliais souvent de faire des pauses. Ensuite que pour moi, ça aurait probablement été bien pire si j’utilisais un éditeur de texte différent. Mon TypeMatrix m’a sûrement beaucoup aidé, mais j’utilise toujours mes claviers mécaniques traditionnels tout en tapant en bépo dessus sans pour autant souffrir ; je pense donc que c’est vraiment le passage au bépo qui m’a permis de me débarrasser de ces douleurs.
piou
Content de voir un bépoïste de plus!
À la publication du rapport que tu évoques j'avais pris contact avec l'entité de normalisation qui m'avait assuré qu'Ergodis (l'association maintenant le bépo) faisait partie du groupe de discussion depuis leur origine. C'est donc une véritable bonne initiative à mon avis.
Qui plus est je tiens à confirmer la plupart des choses que tu avances dans l'article. Le seul point peut-être sur lequel je diverge c'est le fait de ne pas passer en tout bépo directement : personellement j'ai l'impression que le passage direct m'a beaucoup aidé en alternant 15-20min d'exercice par jour avec le fait de taper de vrai textes. Pour cela j'avais accroché au niveau des yeux un papier avec la position des touches afin de perdre l'habitude de regarder le clavier. Mais à chacun sa méthode je suppose.
Utilisateur intensif de vim j'ai fait un choix que tu n'évoques pas : ne rien rebinder du tout. Les désavantages sont évidents : on perd la home row et c'est triste. Bon. Mais il se trouve que CTSR ne sont pas exactement les touches les plus aisées à rebinder à mon avis justement à cause de leur sens, et en pratique après un rapide temps d'adaptation on ne voit pas la différence dans la vitesse d'utilisation. En matière de confort on perd, c'est vrai, mais le compromis me va. Juste pour dire que vim est tout à fait utilisable de base même si effectivement c'est moins pratique à ce niveau.
ZeNerzhul
Bonjour,
Le bépo me parait bien. Cependant, j'ai peur qu'il ai du mal à franchir les enseignes de distributions. Les ordinateurs portables (notebook, ultrabook, etc.) domine le marché des interfaces physiques, car pour les tablettes ont fait ce que l'on veut. Du coup, c'est pas facile de vendre une machine avec un clavier BEPO. J'ai bien peur qu'il ne franchisse jamais (peut-être que je me trompe) le seuil de la préconisation. Seul les possesseurs d'ordinateur fixe, pourront s'y mettre et ceux qui possède des tablettes (quoi que la aussi, c'est pas gagné)
Toc
Bonjour, Pour ma part, je suis passé depuis plusieurs années sur un clavier Bépo. Enfin, un clavier, non. J’ai installé un émulateur bépo sur mon ordinateur, téléchargeable sur le site bépo.fr. De ce fait, j’ai les touches d’un clavier Azerty devant moi et je doit tout faire en dactylographie ^^. J’ai pris le coup de main. Cette disposition est très agréable car je peux switcher en fonction du besoin. Dès que je souhaite taper du texte je suis en bépo et dès que je fait du excel ou tout autre activité ou je ne suis pas en position de dactylo je me mets en Azerty. Le fait de garder les 2 configurations me permets de ne pas perdre la main sur Azerty et me protège de mes collègues qui souhaitent me faire des blagues en prenant la main sur mon PC ^^.
En conclusion, taper en bépo est très agréable et simple. Plus besoin de tordre les poignets pour aller chercher les é. De même, plus besoin d’attendre la correction automatique de word pour faire des É, Œ et autres caractères complexes à réaliser autrement.
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